Afin que le sentiment du bonheur puisse entrer dans l’âme, ou du moins afin qu'il y puisse séjourner, il faut avoir nettoyé la place, et chassé tous les maux imaginaires. Nous sommes d'une habileté infinie à en créer ; et quand nous les avons une fois produits, il nous est très difficile de nous en défaire.

Souvent même il semble que nous aimions notre malheureux ouvrage, et que nous nous y complaisions. Les maux imaginaires ne sont pas tous ceux qui n'ont rien de corporel, et ne sont que dans l'esprit ; mais seulement ceux qui tirent leur origine de quelque façon de penser fausse, ou du moins problématique. Ce n'est pas un mal imaginaire que le déshonneur ; mais c'en est un que la douleur de laisser de grands biens après sa mort à des héritiers, en ligne collatérale et non pas en ligne directe, ou à des filles, et non pas à des fils. Il y a tel homme dont la vie est empoisonnée par un semblable chagrin. Le bonheur n'habite point dans des têtes de cette trempe ; il lui en faut ou qui soient naturellement plus saines, ou qui aient eu le courage de se guérir.

Bernard Le Bouyer de Fontenelle